LA MAISON AU BORD DE LA D.23

Essai Sonore sur le ralentissement

Durée : 17’40
Enregistré le lundi 11 octobre 1999, à 17h18.

Intentions
C’est un essai.
Glissement de l’écoute causale, narrative, à l’écoute musicale “Schaefferienne”. On écoute des gens qui font du son (comme on écouterait des instrumentistes), et petit à petit, on écoute les sons.
C’est une expérimentation.
C’est une tranche de vie où l’on porte une attention particulière aux sons, au son, dans une série d’actions quotidiennes.
Ce qui guide nos gestes, ce n’est progressivement plus le but à atteindre (poser un verre, ouvrir une porte, attraper une bûche, ...), mais le son.
C’est une musique conceptuelle.
Passer d’une temporalité où le geste naît de la fonction, à un temps où le geste naît de l’écoute “réduite”.
C’est une musique concrète où tous les objets d’une maison deviennent instruments. C’est une musique improvisée (jeu entre nous, l’extérieur et les objets). C’est également un court-métrage sonore.
C’est: Faire entendre le son.

Le faire
Nous sommes parti-e-s une semaine à la campagne; nous logions dans une maison, au bord de la D.23. Dans ce village minuscule tous les jours à la même heure, nous avons improvisé-enregistré un espace de vie d’environ 20 minutes. Tous les jours, dans cette maison, nous avons pratiqué un moment d’hyper attention au son que l’on fait, au son des objets. Notre action principale était de ralentir très progressivement - de vivre.
Un couple de micro est installé dans la pièce principale, et chaque jour entre 16 heures et 18 heures 30, nous ralentissons. On ne se parle pas, notre écoute s’intensifie et le moindre craquement trouve finalement son espace.
Nous jouons avec les objets de la maison, dans une situation quotidienne, en projetant la situation d’écoute acousmatique. Comme nous pratiquons régulièrement cette écoute particulière, nous improvisons et projetons des gestes “pour” cette situation d’écoute.

A l’écoute
Une personne, puis deux descendent un escalier dans la maison. Elle se servent un thé, une tisane ..., se lèvent, ouvrent des portes tranquillement, s’activent à je ne sais quoi, ... et disparaissent.
Il n’y a plus personne à entendre. Plus personne ! Sauf une voiture qui passe, dehors.
Elles reviennent.
Vont et viennent.
Des sons ordinaires. En aucune façon des sons “inouïs”.
Ils nous bercent de banalité, comme des rebonds de leur existence.
Petit à petit, ce quotidien devient étrange. Leurs gestes s’altèrent. Les personnages sont muets. Il y a un aspect dramatique dans le fait de les entendre ralentir de vivre.
Au début les sons se superposent, et de plus en plus, s’enchaînent, se succèdent.

L’action de ralentir a pour effet d’atténuer l’aspect anecdotique. On entend plus que des sons dont le dessin s’épaissit. C’est un peu comme si on passait de la perception d’une nature morte à une toile abstraite, comme si on passait d’un dessin contour à un aplat de couleur.
Et, il n’y a plus deux personnes, mais des bruits, des tâches et puis plus rien.
Où sont-elles passées ? Se sont-elles évaporées ? Pris 80 ans en 17 minutes ?
Sur la D.23, les voitures et les camions n’ont pas ralentis. Les voitures passent toujours.

Finalement, se concentrer une vingtaine de minutes sur l’écoute et la réflexion induite par cette écoute, c’est assez agréable !

C’est une musique à penser.

THE HOUSE NEXT TO ROUTE D.23


LA MAISON AU BORD DE LA D.23

Sound Trial on slowing down

Intent
This is a trial.
A shift from causal, narrative listening to "Schaefferian" musical listening.
We listen to people who make sound just as we listen to instrumentalists -
and little by little, we listen to the sounds.
It's an experiment.
It's a slice of life, where particular attention is paid to sounds, to sound
itself, in a series of daily actions.
Our gestures gradually cease to be guided by a goal to be reached, like
putting down a glass, opening a door, or picking up a log, but by the sound.
It's conceptual music.
Moving from temporality, where the gesture arises from the function, to a
time in which the gesture arises from "reduced" listening.
It is music in concrete form, in which all the objects in the house become
instruments. It is improvised music: a game between us, the sound landscape
and the objects.
It's also a short film of sound.
It's : getting people to listen to the course of sound slowing down.

Process

We went to the countryside for a week, to a little hamlet in the Creuse; we
stayed in a house next to route D.23. In this tiny village, every day at the
same time, we improvised and recorded a slice of life lasting roughly 20
minutes. Every day, in this house, we spent time listening and improvising.
Our main action was, very gradually, to slow down living.
A couple of mikes were set up in the main room, and every day from 4pm to 6
30pm, we slowed down for 20 minutes. We didn't talk, we listened more
intensely and finally even the slightest creak had its place.
We played with the objects in the house, in an everyday situation,
projecting the acousmatic listening situation. As we regularly practise this
particular type of listening, we improvised and projected gestures "for"
this listening situation.

Listening

One person, then two people go down the stairs of the house. They serve
themselves tea or herbal tea..., they get up, open the doors slowly, busy
themselves... and disappear.
There is no one left to be heard... Not a soul! Apart from a passing car,
outside.
They return.
They come and go.
Ordinary sounds. Sounds that are in no way "extraordinary". We are lulled by
their banality, like a rebounding existence.
Little by little, the everyday becomes stranger. The gestures change. The
characters are silent. There is a tragic aspect to hearing their lives slow
down in the absence of words.
At first the sounds are superimposed, mixed together, but increasingly,
through the stretching of time, they follow on from one another in
succession.

The act of slowing down has the effect of subduing the anecdotal aspect. All
that can be heard are the sounds, whose picture takes on substance. It's a
bit like shifting perception from a still life to an abstract painting, from
a contour drawing to blocks of colour.
And there are no longer two people but sounds, tasks and then nothing.
Where did they go? Did they evaporate? Did they age by 80 years in 17
minutes ?
On the D.23, the cars and trucks haven't slowed down. They continue passing
by.

It's music for thought.